S’il vous est déjà arrivé, lors d’une promenade dans la nature en compagnie, d’être happé par la présence de l’espace alentour, parfois jusqu’à laisser la conversation en suspens, alors vous aurez quelque idée de l’appel auquel ont obéi les trois artistes réunis ici, choisissant d’ouvrir à nouveau, en la désencombrant, la voie du paysage, par goût de l’inactuel et d’une immensité qui ne doit rien au format.
Marie-Noëlle Gonthier aime à trouver ses sources ailleurs qu’en elle seule. Elle a élaboré ses Matinaux avec des bribes de papiers peints passés, qu’elle distribue entre le ciel et la terre au gré de leurs nuances, afin de dire l’opacité ou la transparence. Des souches dont est issue par frottage la série Polein elle fait remonter les icônes d’un cycle : pourrissement d’un fruit, nimbe d’une planète, la vie renaît depuis le fond. Pour la série qu’elle a nommée les Sèves, elle n’a eu recours qu’à des jus de couleur, superbement dilués. Rythme des stries, bascule de l’horizon, tout y céde à la douceur de l’aube.
La manière dont Bertrand Henry zoome sur des détails méticuleux ou vers l’évanescence des lointains est caractéristique de ses travaux, au pinceau, à la pointe sèche, au feutre, sur papier ou torchon, voire Sopalin. Ses herbes où on entre mieux que si on s’y couchait sont des flammèches, les feuillages de ses arbres des broderies virtuoses - ils entrent de plain-pied dans la délicieuse histoire des frondaisons qui peuplent la grande peinture classique. Parfois, en particulier avec les monotypes, une lumière étrange survient qui annonce on ne sait quel bouleversement.
Christiane Sintès, dans une série récente, produit côte à côte des vues de nature en opposition forte positif-négatif. Il s’en dégage une tension qui, en polarisant la vision, reprend et magnifie le profond sentiment du temps qui ouvre les paysages familiers auxquels va sa préférence. De même, le sténopé, par ses dédoublements et ses flous, l’infrarouge, qui donne aux êtres et aux choses une présence spectrale, sont requis pour détourner la photographie de son réalisme obligé, et réintroduire, au-delà de l’instant saisi, le monde flottant du souvenir, de l’effacement et des apparitions.
Jean Planche