copyright-photo-Philippe Petiot
Né en 1959 dans l'agglomération grenobloise, il étudie la sculpture et le dessin à l'Ecole régionale des Beaux arts de Valence. Il vit et travaille à Romans sur Isère.
Il a choisi l'univers de la sculpture en ronde-bosse, utilisant des surfaces planes assemblées de telle sorte qu'elles ne se referment jamais sur elles-mêmes. Les matériaux utilisés sont l'acier pur, l'acier corten et le plomb.
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jean-patrice-rozand.com/
Textes
La pesanteur et la grâce
Ce qui vaut pour les formes exactes des mathématiques est exactement ce qui rend sans valeur une oeuvre d’art. L’art est la perfection des formes inexactes… Les formes inexactes ont leur perfection sans modèle dans une nécessité intérieure qui prend en compte leur temps propre et leur espace propre mais ne les assimile pas dans une éternité abstraite parce que seulement idéale et non réelle. En effet, elles existent.
(Henri Maldiney, 1973.)
Il pourra paraître paradoxal de placer sous cet exergue où entrent en opposition l’art en sa nudité et la mathématique sévère une oeuvre qui fait usage d’une part essentielle de cette dernière.
Ce sont bien en effet les éléments mêmes de la géométrie : le triangle, la courbe, le plan, qui entrent en composition dans les assemblages de plaques de métal découpées dont Jean-Patrice Rozand a fait le matériau de sa sculpture. Pourtant, sa pratique n’obéit pas aux lois du calcul. Il peut certes utiliser le compas pour déterminer l’emplacement d’une base, assez rarement une règle pour ses dessins, mais ces derniers ne sont jamais des plans qu’il suffirait ensuite d’exécuter.
Leur rôle est d’amorcer une recherche qui se donne le temps d’une élaboration et d’une maturation (un meuble les recueille dans ses tiroirs en attente d’une germination ou parfois d’une hybridation), mais ne vise pas une fin ni une conclusion démonstrative. Il ne s’agit nullement de trouver une solution à un problème, mais bien de découvrir à la fois et ensemble, dans le lieu que l’oeuvre a ouvert, le problème et sa solution.
La validité de cette dernière sera jugée à l’aune de cette « nécessité intérieure » qu’a tant invoquée Kandinsky, et dont un autre nom pourrait bien être celui très ancien de beauté. On notera au passage, avec Rozand, que les mathématiciens eux-mêmes n’hésitent pas à parler de la beauté d’une démonstration et à y voir quasiment un critère de vérité.
Comme la géométrie, poésie et musique se réfèrent à la mesure. On parlera du nombre d’un vers pour en dire les rythmes internes, de son mètre. Et les constructions de Jean-Patrice Rozand recourent à des assonances, des rimes pourrait-on dire, des hémistiches qui découpent chez lui la hauteur, et à toutes les figures où s’incarnent les scansions de l’espace. A la manière originelle de ceux qui autour de Malevitch et de Kandinsky ouvrirent après le cubisme les voies de l’abstraction.
Mais les choix de Rozand n’en demeurent pas moins hautement spécifiques. Par la manière notamment dont les formes élémentaires sont soudées bord à bord selon des plis. Il s’établit un continuum qui, s’il peut parfois s’abouter à lui-même, refuse obstinément de se refermer pour enclore et dissimuler un intérieur. Tout est face, et tout doit demeurer visible. Parfois, même, l’envers continue l’endroit à la manière d’une bande de Moebius, comme pour mieux affirmer qu’il n’ y a pas de secret - tout au plus une part d’ombre (attirante d’ailleurs) dans le creux des plis.
Comme les surfaces opposées, courbes et contrecourbes, vides et pleins se répondent et s’entrecroisent par interversion autour d’axes toujours obliques, à l’image de celui du globe terrestre et pour offrir comme lui au mouvement de la lumière les plans qui la découpent et la multiplient.
Les pans d’un acier traité pour s’imprégner du temps sans souffrir de ses blessures sont préparés afin de capter toutes les formes de luminosité, de la plus crue à la plus indécise. La magie dont Rozand a conçu une si profonde maîtrise gît autant dans le découpage opéré par ses créatures dans la matière-lumière vers laquelle elles tendent leurs pièges que dans le mouvement d’ombres errantes qui en est l’écho.
Aussi, il faudra déceler les meilleurs angles de vue, tenir l’arrêt pour attendre d’être saisi, avec les précautions d’un oiseleur qui chercherait à être pris. Une sorte de danse comme celle, dont je me ressouviens, de cette Japonaise assez grande, vêtue avec une somptueuse austérité, que nous avons vue, au couvent de San Marco à Florence, entrer et sortir des cellules qui bordent le couloir en U et qui abritent chacune une fresque de l’Angelico ou d’un de ses aides. C’était autant de stations d’une contemplation sans fin, et nous assistions là aux apparitions et disparitions d’une Gradiva sans cesse renaissante, accompagnée de cette même grâce qui chez Rozand emporte dans les plis de la lumière la pesanteur du métal.
Jean Planche, avril 2019
« Le sculpteur JP ROZAND ne mesure pas ; il hume l’air. Sans être un mathématicien, il est fasciné par les mathématiques, par leur élégante simplicité, par le juste, par la clarté, par l’évidence, par l’eurythmie, par la saveur de la concision et de l’incisif. Selon le mathématicien Evariste Galois (1811-1832), « il n’y a pas de géométrie sans élégance ». Jean Patrice ROZAND réfléchit sur les courbes et les contre-courbes, sur la circulation des ombres. Pour lui, les mathématiques, la musique, la poésie se tissent..
J-P ROZAND construit des jeux savants en grande dimension. »
Gilbert Lascaux in : SCULPTURES HAUTES, HIÉRATIQUES, CATALOGUE DE L’EXPOSITION AU CHÂTEAU DE CORMATIN, GALERIE BRUNO MORY
« Si les sculptures de Jean-Patrice Rozand se risquent dans notre présent, ce n’est pas pour répondre à l’injonction d’« être de leur époque ». Ce que le sculpteur embrasse dans l’espace de ses œuvres, d’autres l’ont cherché avant lui, le chercheront encore. Et son style si reconnaissable n’est pas un procédé pour séduire les médias friands d’identités remarquables. Il sait qu’il n’y a pas de progrès en art sinon le cheminement qui mène chaque artiste d’une œuvre à l’autre et jalonne un parcours. Ses préoccupations l’emmènent loin des modes : chez les Grecs archaïques ou dans l’Afrique des sculpteurs Lobi, sans éviter les « modernes » si proches. Il sait que l’histoire de l’art est la succession des procédés et des dispositifs inventés pour saisir ce qu’aucune autre activité humaine n’envisage d’aborder une vérité éphémère et partageable qui dise le tragique de notre condition et l’exaltation de s’en jouer. Au-delà des mots. »
YVAIN BORNIBUS in : CATALOGUE DE L’EXPOSITION ORÉES, MUSÉE HEBERT, LA TRONCHE